La fin de vie et la question de la " bonne mort ".
Etats généraux de la Bioéthique 2018. Conférence citoyens. 26 avril 2018 - Voiron.
Conférencier : Roland Chvetzoff, PhD (1)(2).(1) Cabinet LATITUDE SANTE, 38460 Trept.
(2) Faculté de philosophie université Lyon 3, Institut de Recherches Philosophiques de Lyon (IRPhil), 69007 Lyon.
Site des Etats généraux de la bioéthique.
Synthèse :
La fin de vie et la question de la " bonne mort ".
La modernité dans laquelle nous sommes plongés depuis le XVIIIe siècle nous a détachés du
religieux auquel tout hier nous rattachait. Nous sommes, depuis le siècle des Lumières, livrés à
nos seules volontés, la volonté des volontés. Le processus de sécularisation et en même temps
d’ennoblissement de la médecine va commencer avec l’arrivée de la médecine dite moderne à partir
du XIXe siècle : dans les sociétés sécularisées, le but de la vie c'est la longévité ; dans les
sociétés non sécularisées le but de la vie c'est l'éternité. Le langage du sanitaire porte
aujourd’hui sur ce qui était assumé par le salutaire, soigner et sauver, même si le monde
médical a tenté de rompre le lien entre santé et salut. De même, les miracles proviennent
aujourd’hui de la médecine et non plus de l’Église. Mais à considérer que la médecine soit une
nouvelle forme de religion, sa forme sécularisée, ne va-t-elle pas connaître, tout comme
l’Église, une crise majeure dans les années à venir ?
Car voici qu’elle se heurte à un paradoxe fondateur : comment un médecin ou un soignant, dont la
mission est donc de lutter contre la nature pour guérir et prolonger la vie de son malade, en
arrive à un désir, voire à un devoir, dont l’intentionnalité serait de faire le mal (rompre
l’exigence de longévité), au nom du bien ? Ce paradoxe s’exprime aujourd’hui dans la tentation
euthanasique. Il a lieu dans une clinique dans laquelle les professionnels de santé ne cessent
pourtant de lutter pour exprimer leur humanité. Mais un paradoxe fondateur que les machines à
guérir hospitalières produisent elles-mêmes, amenant la société à demander à la médecine une
réponse systématique. Et c’est souvent en mobilisant nos bons sentiments que le diable se révèle
le plus malin et c'est en croyant le combattre qu'on le sert. Ce paradoxe serait ainsi chez
l’homme à l’origine d’une lutte profonde et ambiguë dont dépend notre humanité : nous ne pouvons
être humains qu’en conflit avec la société.
C’est naturellement dans le domaine de la fin de vie et autour du débat sur l’euthanasie et le
suicide assisté que les pathologies de l’imaginaire du mourir se déchainent. Des pathologies
prises au sens figuré, quand ce n’est pas l’événement de la mort qui nous affecte, mais l’image
de la mort. Les débats sur la fin de vie donnent libre cours aux imaginaires foisonnants, aux
anticipations spéculatives morbides que suscite la peur de la mort. Il faut batailler nous dit
Ricœur contre l’imaginaire du spectateur, pour qui la mort ordinaire est elle-même contaminée
par la mort horrible. La question de la sédation profonde et continue jusqu’au décès illustre
également bien ces propos. Elle renvoie aux images et à l’imaginaire – encore plus profonds – de
la dormition, croyance selon laquelle la Vierge Marie est morte sans souffrir, en paix. Face à
cet imaginaire de la fin de vie et du travail de trépas, l’enjeu est, pour Ricœur, de pouvoir
réintroduire cette capacité à accompagner en imagination et en sympathie la lutte de l’agonisant
encore vivant, vivant encore jusqu’à la mort.
Aujourd’hui, l’hôpital fonctionne selon un idéal technoscientifique fort. Cet idéal, paradigme
démocratique libéral du 21e siècle, se déploie sous des impératifs d’efficience et se trouve
aujourd’hui à l’acmé de son modèle, mais également de ses contradictions. Or pour Lefort, la
démocratie est le régime qui accepte ses contradictions au point d’institutionnaliser le
conflit. Les sociétés démocratiques sont les seules dans lesquelles tous les conflits sont
ouverts, les seules dans lesquelles s’opposent des individus capables de raison, mais animés par
des valeurs et des convictions différentes. Ces conflits éthiques modernes amènent un inconfort
intellectuel dont témoignent les débats, querelles et polémiques actuels. Tuer ces conflits par
une rhétorique sophistique consisterait à affaiblir la démocratie.
Alors pourrait-il exister une éthique qui aille au-delà des seuls questionnements juridiques sur
la fin de vie ? Pourrait-il exister une éthique qui vienne accompagner aussi bien les soignants
que les patients, et qui les reconnaitrait en tant que tels, et dans leur singularité ?
Pourrait-il exister une éthique du soin qui s’appuierait sur le récit, la symbolique, le
langage, la littérature, le mythe, le religieux, le fantasme, enfin tout ce qui ne peut être
quantifié, évalué, mesuré ? Pourrait-il enfin exister une éthique qui aiderait les
professionnels ainsi que les malades à se confronter au caractère tragique, absurde de la vie,
et à supporter que « le monde n’est pas là pour nous faire plaisir » dirait Nietzsche ? C’est
inéluctable, la mort pose des questions embarrassantes.
Mots clés :
Euthanasie ; Fin de vie ; Éthique ; Éthique ; Imaginaire.