L’ÉTHIQUE AU RISQUE DE SON INSTITUTIONNALISATION. L’événement est-il possible au sein des machines à guérir hospitalières ?
THÈSE DE DOCTORAT DE L’UNIVERSITÉ DE LYON.
DOCTORAT DE PHILOSOPHIE. Spécialité : Ethique, politique et droit.
École Doctorale N°487 (Ecole Doctorale de philosophie).
Voir le fichier central des thèses.
Roland Chvetzoff. Faculté de philosophie université Lyon 3, Institut de Recherches Philosophiques de Lyon (IRPhil), 69007 Lyon.Jury :
- Monsieur Eric FIAT, Pré-rapporteur – Professeur à l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée.
- Monsieur Jérôme GOFFETTE, Pré-rapporteur – Maître de conférences habilité à diriger des recherches à l’Université Claude Bernard – Lyon 1.
- Monsieur Jacques GAUCHER – Professeur à l’Université Lumière – Lyon 2.
- Monsieur Gilles FREYER – Professeur à l’Université Claude Bernard – Lyon 1.
- Monsieur Jean-Philippe PIERRON – Professeur à l’Université Jean Moulin – Lyon 3. Directeur de thèse.
Résumé :
L’ÉTHIQUE AU RISQUE DE SON INSTITUTIONNALISATION. L’événement est-il possible au sein des
machines à guérir hospitalières ?
L’éthique en santé bénéficie aujourd’hui d’un cadre réglementaire et normatif incitatif,
obligeant les établissements à déployer une réflexion éthique qui, pour être reconnue et
valorisée au niveau institutionnel, prend le plus souvent la forme de Comités et de Groupes de
réflexion éthique. Mais cette éthique qui a lieu dans nos institutions de santé à partir de
conflits éthico-pratiques soumis par les professionnels se prête-t-elle sans risque à son
institutionnalisation ?
Car en effet les institutions de santé sont devenues aujourd’hui des « thérapeutiques » qui
obligent à des légitimes objectivation et nécessitent une organisation en machines à guérir
hospitalières. Des machines où la question du mal est relativisée, voire déniée au profit du
bien : il n’y a plus de mal, tout au plus des maux (de la douleur, des souffrances, de la
maltraitance, des plaintes, des erreurs, du risque infectieux ou suicidaire, des événements
indésirables graves, etc.) qu’il convient de gérer et de traiter, socialement ou
individuellement, avec des outils technoscientifiques et de gestion. Or « la question éthique ne
se pose que par le fait que le mal existe ». Le mal est possible et pluriel : mal « moral » et
mal « physique », mal commis dans la faute et mal subi dans la souffrance, avec le risque majeur
du soin qui consisterait dans la possibilité d’une violence infligée par un médecin, un
soignant, une organisation ou une institution, à un autre homme devenu son patient et
potentiellement sa victime.
Les machines à guérir déploient un arsenal de dispositifs dont l’intentionnalité, avouée ou non,
est de guérir, mais également d’empêcher que ne survienne tout événement indésirable (Éi). Il
s’agit bien sûr de guérir de la maladie, mais également de guérir d’un risque : celui de
l’événement. L’événement, toujours révolutionnaire, est le grain de sable qui prend au dépourvu
la machine à guérir. Mais l’événement est récupéré par la société technicienne et la machine
hospitalière pour être requalifié en Éi. L’Éi doit ensuite être éradiqué par tout un dispositif
savamment pensé de gestion des risques s’appuyant sur un dispositif de promotion du bien-vivre,
du bien-soigner et du bien-mourir. L’événement n’est plus vécu comme un événement fort du soin,
mais comme un Éi que le « qualéthicien » fera passer au crible du « pourquoi ? » à la recherche
d’une causalité vulgaire de l’événement. Ici apparaît tout l’enjeu de l’institutionnalisation de
l’éthique : amener les institutions à faire de l’Éi un « événement désirable » en faisant
culminer les professionnels dans l’événement, au lieu de chercher à réduire ce dernier à une
causalité certaine. Car « le mal est sans pourquoi », mais nous nous devons de le combattre.
Penser l’institutionnalisation de l’éthique, c’est être attentif à la dialectique de la
structure et de l’événement comme synthèse ajournée. Cette non-synthèse permet de penser et la
machine et l’événement comme deux concepts compatibles, indissociables, non pas pris isolément
ou en opposition, mais ensemble : la machine avec l’événement. Cela suppose la pensée d’une
éthique instituée déclinée dans des institutions secondaires (i2) en lien avec une éthique
instituante au plus près des institutions primaires (I1), et où viendraient se confondre avec
l’institué une efficace de l’instituant. Au delà de l’Ei, l’événement éthique (ÉÉ) apparaît
comme la possibilité de survenue du mal. Car une éthique du cynique ou du coquin dont l’objectif
serait d’éradiquer le mal viserait également à éradiquer la liberté.
Ainsi, la question de l’institutionnalisation de l’éthique ne peut trouver de réponse que dans
la création d’un projet social-historique (PSH), et son corollaire : l’imagination. Le PSH, en
tant que science des commencements, représente le champ d’action qui échappe à la déterminité.
Il est le lieu où les hommes créent et modifient sans cesse les institutions qui les
structurent, en tension permanente entre les deux dimensions de l’instituant et de l’institué.
Le point ultime de l’institutionnalisation de l’éthique consiste ainsi dans la visée d’une
société capable d’une reprise perpétuelle de ses institutions en s’auto-instituant non pas une
fois pour toute, mais d’une manière continue par un arrachement radical à un atavisme social
millénaire. Une éthique du point sublime comme « conclusion agnostique », c’est à dire une
dialectique irrésolue entre l’ÉÉ et l’éthicisme, entre la machine et l’événement, entre le
cynique et le coquin, entre la théorie et la pratique, entre l’activité laborante et l’activité
agissante. Une dialectique comme « non coïncidence » où la volonté se laisse instruire par
l’imagination, et inversement. En conjuguant ainsi la conflictualité avec la démocratie, c’est
la démocratie elle-même qui s’installe et se consolide dans un renoncement et un deuil de la
Vérité.
Mots clés :
Ethique ; Institution ; Structures ; Evénement ; Machine à guérir hospitalière ; Mal ; Ethique médicale.